Marie Gerrienne

Analyse des pratiques de prise de décision des juges : le cas du règlement collectif de dettes dans les tribunaux du travail belges


Ma thèse, commencée en octobre 2023, porte sur l’analyse comparative des procédures de règlement des situations de surendettement en Belgique et en France. L’objectif est de comprendre comment la nature des procédures – judiciaires en Belgique, principalement administratives en France – influence les décisions auxquelles elles donnent lieu, notamment du point de vue de leur légitimité et de leurs effets. 

Deux mécanismes de gestion du surendettement, le règlement collectif de dettes et la procédure française de surendettement dans ses différentes modalités, ont été choisis en raison du cadre juridique qui fixe les règles de leur mise en œuvre. En effet, le respect de ce cadre donne lieu à des décisions justifiées notamment par des règles de droit (Commaille & Dumoulin, 2009 ; Duran, 2009). Ces décisions, dans les différentes formes qu’elles peuvent prendre, constituent l’objet de la présente recherche.

La question de recherche principale se formule comme suit : comment les situations de surendettement sont-elles gérées en France et en Belgique dans le cadre des deux procédures susmentionnées ? 

Pour préciser cette question d’action publique, qui vise plus généralement à comprendre le traitement concret d’un problème public dans une perspective comparative, plusieurs sous-questions ont été identifiées : 

  • Quelles catégories d’acteurs sont mobilisées par ces procédures ? Comment agissent-ils sur ces situations et justifient-ils ensuite les décisions prises ?
  • Comment les situations concrètes des personnes sont-elles perçues, puis
    traduites en problèmes juridiques ou administratifs ? Et quelles solutions
    concrètes contribuent-elles à définir ?
  • Quelles règles de droit et quelles normes sont mobilisées dans divers types de
    situations ?
  • Quelles visions de la consommation, du budget ou des comportements
    économiques sont plus généralement véhiculées ?

Dans les deux procédures précitées se trouve une autorité habilitée à rendre des décisions relatives aux dossiers de surendettement qui lui sont soumis, à différentes étapes de leur avancement. Il peut s’agir de l’acceptation ou non dans la procédure, de l’acceptation ou non du plan de paiement ou d’une décision de clôture ou de sanction, par exemple.
Ces décisions, judiciaires ou administratives, constituent l’objet central de la recherche. Il s’agira plus particulièrement de comprendre comment elles sont produites, formalisées et rendues publiques pour s’intéresser ensuite aux logiques et aux justifications qui les entourent, ainsi qu’à leur contenu et aux catégories juridiques mobilisées. Elles seront étudiées sous trois angles différents et complémentaires. 

Tout d’abord, en amont, il s’agit de comprendre quels groupes d’acteurs sont impliqués dans le traitement des dossiers et les prises de décision, quelles sont les relations qu’ils établissent et quel rôle jouent, à ce niveau, les outils (digitaux, managériaux et procéduraux) sur lesquels ils s’appuient. La sociologie de l’action organisée permettra d’étudier de manière contextualisée les processus décisionnels (Callon, 1986 ; Friedberg, 1987 ; Crozier & Friedberg, 1992 ; Ackermann & Bastard, 1993 ; Czarniawska, 2008 ; Yanow, 2012). 

Ensuite, à l’aide d’une analyse de discours (Fairclough, 2013), les décisions seront appréhendées à partir des justifications des acteurs, dans l’objectif d’identifier les valeurs et les logiques qui guident les réponses apportées aux problèmes des personnes surendettées (Boltanski & Thévenot, 1991 ; Thévenot, 2019). Il s’agira également de comprendre les raisons qui motivent les acteurs à opter pour telle ou telle règle de droit. 

Enfin, la sociologie du droit contribuera à appréhender la place, le rôle et le sens de la norme juridique (Commaille, 2015; Baier, 2016) en situation de (non) juridictionnalisation des procédures de surendettement, ainsi que la manière dont des situations concrètes sont décrites et mises en lien avec des règles de droit dans le contenu des décisions (Colemans & Dupret, 2021). 

Pour répondre à ces questions, des études de cas (Yin, 2018) seront menées dans une perspective comparative, en Belgique et en France. Deux organisations seront sélectionnées dans chaque pays, afin d’étudier des contextes socio-économiques et organisationnels différents.

 
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Mots-clés :

justice ; surendettement ; droit ; action publique ; dignité humaine ; sociologie du droit ; sociologie des organisations.

Références

Baier, M. (Ed.). (2016). Social and legal norms: Towards a socio-legal understanding of normativity. Routledge.

Bastard, B., & Ackermann, W. (1993). Une coopération conflictuelle: les relations entre les barreaux et les tribunaux de grande instance. -24 Droit et Societe, 23, 59.

Boltanski, L., & Thévenot, L. (2011). De la justification : les économies de la grandeur. Gallimard.

Callon, M. (1986). Éléments pour une sociologie de la traduction : La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc. Année sociologique, 36, 169–208.

Colemans, J. & Dupret, B. (2021). Présentation du dossier thématique « Droit, justice et catégorisations ». Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 87, 123-149. https://doi.org/10.3917/riej.087.0123

Commaille, J. (2015). À quoi nous sert le droit ? (Vol. 5). Paris: Gallimard.

Commaille, J., & Dumoulin, L. (2009). Heurs et malheurs de la légalité dans les sociétés contemporaines. Une sociologie politique de la « judiciarisation ». L'Année sociologique59(1), 63-107.

Crozier, M., & Friedberg, E. (1992). L'acteur et le système : les contraintes de l'action collective. Éd. du Seuil.

Czarniawska, B. (2008) A theory of Organizing, Edward Elgar.

Duran, P. (2009). Légitimité, droit et action publique. L'Année sociologique59(2), 303-344.

Fairclough, N. (2013). Critical discourse analysis. In The Routledge handbook of discourse analysis (pp. 9-20). Routledge.

Friedberg, E. (1987). L’analyse sociologique des organisations. Editions L’Harmattan.

Thévenot, L. (2019). Ce qui engage : la sociologie des justifications, conventions et engagements, à la rencontre de la norme. Revue Des Droits de L’homme, 16. https://doi.org/10.4000/revdh.6452

Yanow, D. (2012). Organizational ethnography between toolbox and world‐making. Journal of Organizational Ethnography1(1), 31-42.

Yin, R. K. (2018). Case study research and applications: design and methods (Sixth edition.). SAGE.

modifié le 22/11/2023

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